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Le Conseil d’État reconnaît la responsabilité de l’État pour les dommages causés par les Gilets jaunes

Décision commentée : Conseil d’État, 28 février 2025, Société Lib Industries, n°473904


1. Contexte et enjeux de la décision

Le Conseil d’État a rendu, le 28 février 2025, une décision importante concernant la responsabilité de l’État pour les pertes subies par une entreprise en raison des blocages organisés par les Gilets jaunes.

Ces blocages, survenus entre le 20 novembre et le 19 décembre 2018 aux abords de la zone industrielle de Saint-Césaire à Nîmes, ont entravé l’accès des poids lourds aux infrastructures de la société Lib Industries, entraînant un préjudice financier significatif.

📌 Points clés du litige :

  • La société Lib Industries a demandé une indemnisation de 311 481,15 € auprès de l’État pour les pertes subies en raison des blocages.
  • Sa demande ayant été rejetée par la préfète du Gard, puis par le Tribunal administratif de Nîmes et la Cour administrative d’appel de Toulouse, elle s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État.
  • La question posée : L’État peut-il être tenu responsable des préjudices causés par des attroupements ou rassemblements violents, même sans faute directe de sa part ?

2. La contestation portée devant le Conseil d’État

Fondement juridique invoqué :

L’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure dispose que :

« L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

Pour que la responsabilité de l’État soit engagée, trois conditions doivent être réunies :

1️⃣ L’existence d’un attroupement ou rassemblement spontané et non prémédité (CE, 28 oct. 2022, Ministre de l’Intérieur c/ SANEF, n°451659).
2️⃣ Des actes constituant des crimes ou délits, tels que des dégradations, incendies ou entraves graves à la circulation.
3️⃣ Un lien de causalité direct et certain entre le rassemblement et le préjudice subi (CE, 6 avril 1990, Cofiroute, n°112497).

Arguments de la société Lib Industries :

  • Les blocages ont entraîné une perte d’exploitation avérée.
  • Les actions des manifestants (installation de barrages, filtrage des accès) ont constitué une entrave à la liberté de circulation, assimilable à un délit.
  • Le lien de causalité entre l’attroupement et les pertes financières est direct.

3. La décision du Conseil d’État

🔹 Le Conseil d’État reconnaît la responsabilité de l’État

Le juge administratif a estimé que :

Les blocages étaient bien le fait d’un attroupement spontané, sans organisation préméditée.
Les actions menées (barrages, restrictions de circulation) constituaient un délit au sens du Code pénal.
Le lien de causalité entre ces blocages et les pertes subies par la société Lib Industries était avéré.

📜 Extrait de la décision :

« En estimant que les préjudices invoqués par la société Lib Industries ne pouvaient être regardés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. »

🔹 Annulation de l’arrêt de la Cour administrative d’appel

Le Conseil d’État a donc annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel et reconnu le droit à indemnisation de la société Lib Industries pour les pertes subies.


4. Conséquences et perspectives

👀 Un renforcement de la responsabilité de l’État en cas de troubles publics

Cette décision rappelle que l’État peut être tenu pour responsable des préjudices économiques causés par des mouvements sociaux, même en l’absence de faute de sa part.

📌 Points à retenir :

  • Cette jurisprudence pourrait inciter d’autres entreprises touchées par des blocages à engager des actions similaires.
  • Elle met en lumière la nécessité pour l’État d’anticiper les conséquences économiques des mouvements sociaux et d’assurer l’ordre public.
  • Elle confirme que le juge administratif peut apprécier les faits influant sur la qualification juridique, une tendance qui pourrait évoluer à l’avenir.

Une évolution du rôle du juge de cassation ?

Le Conseil d’État semble s’impliquer de plus en plus dans l’examen des faits, ce qui pose la question de la souveraineté des juges du fond. Cette tendance pourrait conduire à un élargissement du contrôle exercé par le juge de cassation sur les décisions des cours administratives d’appel.


5. Sources

📄 Décision du Conseil d’État du 28 février 2025 : Lien Legifrance
📜 Article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure : Lien Legifrance
📜 Conseil d’État, 28 oct. 2022, Ministre de l’Intérieur c/ SANEF, n°451659 : Lien Legifrance
📜 Conseil d’État, 6 avril 1990, Cofiroute, n°112497 : Lien Legifrance